Cours sur la photo numérique

Cours de photographie (2005-2011)

Edward Sheriff Curtis

Edward Sheriff Curtis est un photographe et ethnologue américain, né en 1868 et mort en 1952. Fasciné par les indiens d’Amérique, il va produire entre 1907 et 1930 environ 50000 prises de vue des 80 ethnies indiennes d’Amérique du Nord. Il en résultera une oeuvre en 20 volumes et 2500 photographies, un corpus sans équivalent dans l’histoire de la photographie.

L’oeuvre de Curtis reste ambivalente à plus d’un titre. Le peuple indien d’Amérique, au début du XXeme siècle, n’est plus le frein à la colonisation des terres sauvages qu’il a été pendant le 18eme. Il a accepté les espaces de réserves que l’on lui a laissé, et passant de nomade à sédentaire, est perdu entre le désir de perpétuer ses traditions et la mutation due au contact accru avec la civilisation occidentale. Enfin la paupérisation qui le guette, et le racisme le ghettoïse.
Représentant décoratif d’une époque héroïque révolue (la conquête de l’ouest), il est devenu une pièce de musée, et déjà une attraction touristique.

Le travail de Curtis trouve sa place dans ce contexte, nourri à la fois d’un respect pour des hommes fascinants par leur hétérogénéité, d’une curiosité d’ethnologue pour un peuple et ses coutumes comme "venu intouché du fond des ages", et par une urgence de conserver ce patrimoine américain aussi bien immatériel que matériel en grand danger. Il doit être le seul a avoir gardé trace de l’architecture des peuplades indiennes, par exemple, dont il ne resterait sans lui que le cliché du tipi.

Il trouve un financement pour 5 ans et se lance dans l’aventure avec énergie, et c’est tant mieux car celle-ci lui demandera 18 années de plus. Il rencontrera environ 80 peuplades réparties sur tout le continent américain, du grand nord au Mexique, avec lesquelles il se lie, avec et malgré sa naïveté d’homme blanc.
Il est fils de prédicateur, il a été élevé au grand air, et son approche ethnologique est assez rudimentaire au départ. Curtis n’est pas un grand intellectuel, c’est un faiseur passionné, mais le contact répété avec les ethnies qu’il visite durant plus de 23 ans vont en faire un des plus grand connaisseurs du peuple indien.

Le livre qui résulte de son travail acharné est "The North American Indian", 2500 images dans 20 livres. C’est un objet au final plus luxueux que ne l’aurait voulu Curtis - qui aurait voulu une diffusion large de son travail - mais ses mécènes, dont John Pierpont Morgan, magnat du chemin de fer, veulent un bel objet.
La légende dit que l’oeuvre de Curtis reçut un bon accueil du président Roosevelt, qui trouvait les indiens aussi intéressant dans les livres d’Histoire qu’inutiles comme citoyens de son pays.

"The North American Indian" est une oeuvre assez ambivalente et controversée. D’abord parce que Curtis veut (ainsi qu’une partie de son mécénat) donner une image de l’indien "intouché" par la culture occidentale. Du coup, il exclut de son livre la réalité des indiens du XXeme siècle, obligés de composer avec une culture qui, il faut bien le dire, a fait peu de cas de la leur. Curtis cherche les endroits les plus typiques, photographie les indiens en habits traditionnels et les scènes les plus en phase avec ce qui est déjà un folklore indien. Il va jusqu’à retoucher les images pour y gommer les arrières plans, objets et sujets trop mixtes.

Plus étrange pour nous, Curtis tire ses images sur un papier de qualité, au chauds tons sépia, avec une technique quasi pictorialiste d’arrière garde pour son époque. Des images au grain apparent, proche du dessin, ce qui contraste avec son projet scientifique. Le désir de plaire à ses mécènes, ainsi que celui de faire une oeuvre populaire, n’y sont probablement pas étranger. On a donc des images dont les sujets sont magnifiés. De fait, les portraits de chefs indiens sont plastiquement superbes, et entretiennent le mythe du fier guerrier.

Enfin, le travail d’archivage de Curtis peut être considéré par certains aspects comme celui d’un fossoyeur. Une fois photographiés dans leur pureté historique, leurs usages cartographiés, leurs voix enregistrées (Curtis va enregistrer sur rouleaux de cire voix et chants), ces indiens peuvent disparaitre pour de bon. Il est en effet toujours ambig༠ce travail de mémoire, qui surgit lorsqu’une culture est au bord de la disparition. Plusieurs des chefs indiens que Curtis rencontre faciliteront son travail, l’invitant à photographier des rites et coutumes réservés aux initiés et cachés aux blancs, dans le but clair de garder trace de ce qu’ils furent.

Alors que quelques derniers indiens, fortune faite dans l’exploitation des casinos, achètent la chaine "Hard rock café", on peut voir leurs fiers ancêtres sur le site officiel de la mission de Curtis.

Par stephane, 9 mars 2008