Cours sur la photo numérique

Cours de photographie (2005-2011)

Nadar

Gaspard-Félix Tournachon, dit Nadar, est un photographe français né en 1820 et mort en 1910. Il restera dans l’histoire comme photographe du "tout-Paris" de la deuxième moitié du 19eme.
Alors que l’accès à la photographie se démocratise, il oppose son approche artistique et psychologique du portrait à la photographie pousse-bouton des simples "opérateurs".

"La théorie photographique s’apprend en une heure ; les premières notions de pratique, en une journée... Ce qui ne s’apprend pas, je vais vous le dire : c’est le sentiment de la lumière, c’est l’appréciation artistique des effets produits par les jours divers et combinés…Ce qui s’apprend encore moins c’est l’intelligence morale de votre sujet, c’est ce tact rapide qui vous met en communication avec le modèle, et vous permet de donner, non pas... une indifférente reproduction plastique à la portée du dernier servant de laboratoire, mais la ressemblance la plus familière, la plus favorable, la ressemblance intime. C’est le côté psychologique de la photographie, le mot ne me semble pas trop ambitieux".

Entre 1827 et 1880, l’évolution technique avance par bond successifs, au gré des découvertes de procédés plus rapides, plus faciles à mettre en oeuvre, aux rendus plus fins. Le portrait devient accessible aux aristocrates, puis aux bourgeois, et enfin les couches populaires. Le genre du portrait appartient à l’histoire de l’art, le portrait photographique devient donc une double menace pour la défense des beaux arts : il se banalise, se vulgarise (au sens de vulgus, le peuple) et perd donc le prestige lié au genre autrefois réservé aux élites. de plus, sa production s’industrialise, posant la question de l’auteur sous un tour inattendu.

Dans ce contexte, Nadar va débouler avec énergie et stratégie. Fils de bourgeois ruiné, devenu soutien de famille à 18 ans, vivant chichement, il n’en mènera pas moins une vie aventureuse dans tous les sens du terme : participant de la vie bohème (le terme est de l’époque) de Paris, il se lie avec ceux qui compterons bientôt dans l’élite intellectuelle. Il écrit et dessine des caricatures pour des journaux, y trouve le succès et l’argent qu’il flambe en femmes et sorties, fait de la prison parce qu’il ne peut rembourser ses dettes. En 1848, il s’engage dans la légion polonaise sous le nom de Nadarsky (il montre là encore son esprit fantasque), sera fait prisonnier et mis au travail forcé, rentrera à pied de Pologne et se fera ensuite espion des troupes russes pour le compte de la France, travail dont il se vantera plus qu’il ne le pratiquera si on en croit les biographes.

Il va en ensuite mettre en chantier son premier bon plan : il complète une collection de caricatures et portraits déjà réalisés, qu’il assemble en recueils, dont le "Panthéon de Nadar " 300 personnalités contemporaines dessinées par lui et des collaborateurs recrutés. Une bonne opération qui lui permet de compléter son carnet d’adresse de l’élite parisienne, et de financer l’aménagement d’un atelier photographique au dernier étage d’un bâtiment parisien. Sous une verrière lui assurant un bon apport lumineux, vont bientôt se présenter les femmes et hommes importants de l’époque.

C’est que devant la multiplication des studios bon marché, l’enjeu est de retrouver la préciosité, voire le caractère unique, du portrait traditionnel. Nadar l’a bien compris. Mais la photographie n’est pas la peinture, la "reproductibilité mécanique" change la donne. Le caractère unique doit venir d’ailleurs désormais : du prestige du sujet photographié, certes, mais aussi du prestige du photographe. Nadar joue de son carnet d’adresses, ce qui lui permet de se faire, lui aussi, un nom. Avec le portrait de nombreux artistes, Monet, Delacroix, Sand, Doré, Daumier, Offenbach, Sarah Bernard, Balzac, Debussy, il se rend désirable aux chefs d’état et de nombreux représentants de la noblesse française.

Debussy

Son approche photographique tranche avec les petits studios d’abord par le temps qu’il donne à la préparation du sujet. Accueillis avec le niveau qui leur sied, les dames et messieurs entrent dans un studio lumineux dans lequel des assistants se chargent des préparatifs techniques, laissant Nadar rencontrer ses clients avec l’aisance de sa propre notoriété.
Il met ainsi à l’aise ses sujets et c’est pour lui aussi l’occasion de saisir s’il ne les connait pas la psychologie, l’attitude physique et les traits de son sujet photographique. Une fois cette étape passée et sur quelques indications discrètes à ses assistants manipulant des réflecteurs, emportant les plaques insolées, il dirige son hôte, suggère à celui-ci une position, une attitude, et réalise la prise de vue dans un décor extrêmement dépouillé pour l’époque, au fond neutre (là où le sous-bois, les colonnades, les drapés étaient monnaie courante), sans ustensiles ni décorum. Nadar travaille dans les années 50-60 au collodion humide, les temps de pose peut aller de 3 à 12 secondes environ.

L’élégance de son dispositif (réservé à l’élite, car il a aussi des studios très rentables pour les moins nantis, avec une cadence plus élevée et moins d’égards) fait sa réputation, et même Baudelaire, qui vomit sur cette société qui se rue "comme un seul Narcisse" pour se faire tirer le portrait, se fait photographier par lui à plusieurs reprises. Il ne cachera pas le mépris qu’il a pour la photographie de ses concurrents, auquel il oppose sa capacité à saisir la personne dans son essence au delà d’une image fugace arrachée à la "va-comme-je-te-pousse".

Lorsque son frère cadet, qu’il a pris comme assistant, s’installe lui aussi comme photographe, un différent les opposera. Adrien Tournachon se rebaptise "Nadar junior", pour grapiller la renomée de son frère. Nadar ira jusqu’au tribunal pour l’en empêcher, protégeant ainsi sa notoriété qui tient dans son nom. Sa ligne de défense au tribunal sera que la photographie est un art, ce qui fait de ce procès un moment historique.

Nadar sera pionnier dans de nombreuses aspects de la photographie : il mène des expériences d’éclairage de studio dans les années 1860, il réalise les premières photos aériennes car il est amateur de "plus légers que l’air". La légende dit que la première exposition des impressionnistes a lieu chez lui.

En 1900 l’exposition universelle de Paris comporte une exposition organisée par son fils Paul, qui le consacre comme un des grands photographes du 19eme.

Par stephane, 5 janvier 2009