Alexandre Rodtchenko
Figure du constructivisme russe, Alexander Rodtchenko est un photographe et plasticien né en 1891 et mort en 1956. Galvanisé par la révolution, il va faire partie de l’avant-garde russe avec d’autres artistes comme les frères Gabo et Pevsner, Malevitch, Choukhov, et Lissitzky.
La photographie fera partie des outils de Rodtchenko mais le désir de l’avant-garde est clair : l’art va disparaitre dans l’utilité sociale, et l’artiste produire des outils qui célèbrent la beauté des objets industriels contre une culture bourgeoise de la dorure, de la moulure, de l’ornement. Les tsars sont encore au pouvoir pour quelques années seulement lorsqu’il sort de l’école en 1914, mais l’Europe est déjà en plein bouleversement. Il va traverser deux guerres et une révolution.
La génération de Rodtchenko va jeter les bases du design industriel, d’une pensée de la production s’appuyant sur les standards des machines plutôt que sur l’intuition de l’artisan. Il signe en 1921 un manifeste avec sa femme Stepanova : " A bas l’art, vive la technique ! ".
La photographie de Rodtchenko n’est donc pas à isoler de ce désir de toucher toutes les sphères de la production industrielle et tout ce qui peut aider à la transformation de la société russe dans la révolution qu’elle traverse. Il abordera d’ailleurs tous les médias à sa portée : peinture, sculpture, graphisme, design, pédagogie. Impossible de se cantonner à une seule pratique lorsque l’on décrète la mort de l’art.
Le déséquilibre dans la composition de ses images (photographies comme collages) est absolument caractéristique de son époque. Initié par la figure légendaire de Malevitch, cette méthode de construction se retrouve en peinture (Lissitsky) et même en architecture (Tatline). Elle imprime un mouvement, un basculement, qui se doit d’être imprimé sur toute la société. La plongée et la contre-plongée sont aussi là pour signifier une rupture avec la stabilité de la peinture traditionnelle, la fenêtre sur le monde et sa staticité. Des cadrages nouveaux, permis par le médium photographique, renforcé par une mobilité nouvelle : l’avion, récemment apparu dans les cieux, ouvre une perspective nouvelle, fait découvrir la terre avec des perspectives inédites.
Le constructivisme du jeune Alexander lui-même s’appuie sur les acquis de l’abstraction, qui vient de bouleverser le champ de la peinture, et génère des images fortement contrastées, mettant en avant la structure de l’image, mettant à nu ses composants formels plus que ses sujets, souvent anecdotiques (un homme sur une échelle, une femme montant un escalier monumental). Fabriquer de l’abstraction avec un médium qui enregistre le réel, par le cadrage et le minimum d’artifice est un des enjeux de la modernité photographique.
On y voit une population heureuse d’un ordre nouveau, photographiée en contre-plongée ou en plongée, exprimant avec joie un désir de changement, au collectif, au travail et au rassemblement des forces dans la joie.
La notion de propagande, évidente dès les premières images, n’est pas encore entachée par ce qu’en fera la deuxième guerre mondiale : un outil machiavélique de manipulation des foules. C’est un outil de propagation, jusqu’au confins d’un pays gigantesque, d’une politique qui semble pour l’élite dont fait partie Rodtcheko, émaner du peuple lui-même. Amplifier et amener cette révolution dans tous les aspects de la vie est la mission que se donne Rodtchenko.
Le rôle de la femme dans une société en révolution, par exemple, trouve des échos dans le travail de Rodtcheko comme dans l’art et la culture des années 30’. Mère, femme indépendante, éducatrice, travailleuse, les photographies de Rodtchenko montre tous ses aspects en laissant sciemment de côté le bel objet de la représentation bourgeoise. La beauté est discrète, la volonté et l’engagement lui sont préférés.
Les années 30’ et les années de guerre vont briser les rêves de sa génération et tuer la plupart des volontés révolutionnaires des constructivistes.
Le groupe "Octobre" dont fait partie Rodtchenko, et qui rassemble les photographes les plus enthousiastes et novateur du moment, se voit critiquer par le parti comme petit-bourgeois, formaliste et pas assez impliqué politiquement. Conformément aux méthodes politiques de l’époque, le groupe doit faire son auto-critique. Rodtchenko, qui ne se montre pas docile, se fera expulser. Staline et ses purges vont accentuer une politique répressive et autoritaire au nom d’une stabilisation politique.
Les artistes vont devoir faire le grand écart : se proclamer contre l’esthétique occidentale bourgeoise et revenir à une représentation traditionnelle, celle du réalisme socialiste. Rodtchenko réalisera dès lors nombre de commandes d’état, notamment la construction du canal Baltique-Mer Blanche, des ballets aquatiques et des démonstrations de gymnastique avec un formalisme évidé de toute pensée, ce qui lui sauvera la peau. C’est toujours ça.