Eugène Atget
Photographe français né en 1857 et mort en 1927, aussi méthodique et rigoureux que discret, modeste et bougon. Il réalise des milliers de clichés de Paris qu’il vend comme "documents pour artistes", et que Bérénice Abbott et les surréalistes ne manqueront pas de reconnaitre comme un véritable travail d’artiste.
On trouve dans l’histoire de la photographie des destinées étranges, des maitres modestes, des succès posthumes plus que dans les autres arts. C’est en partie du à la nature industrielle, "mécanique" de son procédé, et c’est ce qui en fait la modernité.
Ainsi l’influence de Atget sur l’histoire de la photographie est aussi grande que son ambition fut modeste.
C’est un homme au destin plusieurs fois brisé, qui voulait faire le conservatoire et entrer à la comédie française. Le service militaire l’en empêchera une première fois, un maladie de la gorge met ensuite un fin définitive à cette ambition. Venu à la photographie par hasard (il hésite entre elle et la peinture encore un moment), il commence à photographier vers 1888, s’installe a Paris et commence à produire des "documents pour artistes". “Paysages, animaux, fleurs, monuments, documents, premiers plans pour artistes, reproductions de tableaux, déplacements. Collection n’étant pas dans le commerce†, ainsi que le dit une annonce publiée en 1892.
Atget travaille en indépendant, seul, constituant des séries comme pour se préparer à toute demande, et surtout n’en recevoir aucune. Il démarche pour vendre ses images, mais ne semble pas chercher les contrats à long terme ; plutôt de quoi gagner sa liberté. Il foire plusieurs fois la possibilité de collaborer avec des institutions de la ville de Paris.
Un des paradoxes de son travail est qu’il vend ses images à la pièce, de manière disparate, alors qu’elles constituent un ensemble très cohérent, invisible pour ses clients : Atget s’intéresse au vieux Paris, aussi bien matériel (bâtiments, fontaines, arbres et parcs) qu’immatériel (petits métiers, petites gens, usages de la ville). Un patrimoine historique que les grands travaux haussmanniens sont en train de détruire à vue d’oeil. Il est à ce titre un des fondateurs du genre documentaire, même s’il s’inscrit dans une vague romantique (dont fait partie Victor Hugo par exemple) de défense du patrimoine français et du pittoresque. Son choix de la photographie est pleinement pertinent. Sa rigueur, la précision qu’il gagnera dans ses cadrages montrent qu’il a pleine conscience de la tâche qu’il s’est donnée.
Un autre paradoxe est que sa photographie sera reconnue et acclamée pour sa modernité, là où son propos est clairement anti-moderne : Atget vomit cette société moderne, incarnée par Haussmann (préfet de la ville de Paris) qui désire rendre la ville plus hygiénique et plus organisée, et détruit les vieux quartiers sans respect des classes populaires et de la beauté d’un ordre pré-industriel. La méthode de travail d’Atget est d’ailleurs celle d’un artisan. Il produit photographies et tirages à échelle humaine, sans assistant, avec un matériel vieillot, qu’il conservera malgré les évolutions techniques.
Un romantisme suranné affleure sur les images, mais la rigueur des cadrages, associée à un désir de créer du document, donne à ses images une froideur que Berenice Abbott, puis les surréalistes français, admirerons pour des raisons qui échapperons à leur auteur.
Les surréalistes y voient une apparition de l’étrange, cette beauté convulsive dont parle Breton. Le reflet passionne les photographes des années 20’, et elle participe d’une fascination pour les spectres que l’on retrouve par ailleurs dans l’ensemble de l’histoire de la photographie. Les surréalistes et les américains de passage à Paris - qui vit l’apogée de son rayonnement artistique - voient en Atget un précurseur, et Berenice Abbott achètera ses images à titre personnel et pour le compte des collectionneurs américains.
Lors de ses rencontres avec ces artistes révolutionnaires et enthousiastes, Atget reste extrêmement réservé. C’est qu’il ne comprend pas cet engouement autour de son travail, et ne se gargarisera nullement de cette reconnaissance tardive (il a 63 ans en 1920). Il ne pouvait qu’être sceptique, voire hargneux, devant cette génération qui s’installe avec la jubilation de l’entre-deux guerres dans ce monde qui avait détruit le sien.
Dans les dernières années de sa vie, Atget, sans descendance et désireux de préserver son travail de la disparition, fera des offres de rachat global de ses collections d’images. Mais c’est de nouveau dans un souci plus patrimonial qu’artistique. Il s’éteint à l’age de 70 ans.
Il reste que des photographes aussi pointus que Walker Evans, qui découvrent à vingt ans les tirages un peu désuets d’un vieux parisien, ne se tromperont pas sur la qualité de ces images. Ils reconnaitront son travail comme celui d’un pionnier, et radicaliseront les postulats esthétiques de l’oeuvre d’Atget. Mais ils en affirmeront, cette fois, la valeur proprement artistique.