August Sander
Photographe allemand né en 1876 et mort à Cologne en 1964.
Formé très tôt et sur le tas à la photographie, Sander ne fera que brièvement des études artistiques. Fils de mineur, il commence à travailler comme garçon de terril et trouvera dans la photographie aussi bien réussite professionnelle que réalisation personnelle et artistique. Assistant photographe, co-propriétaire puis propriétaire de ses studios, il va mener de front carrière artistique et travail rémunérateur. Il s’installe à Cologne en 1910, et y passera la fin de ses jours. La ville lui permet de cotoyer des artistes importants de sa génération, faisant partie de l’avant-garde (Otto Dix, Raoul Haussman,...) et aux idées plutôt progressistes, ce qui lui vaudra des ennuis lors de la montée du nazisme et durant la guerre. Son fils est arreté en 1936 et mourra en prison en 1944 pour ses opinions politiques.
Sander est connu comme photographe de portrait, mais en tant que photographe professionnel il a fait de tout, des photographies d’objet pour la publicité par exemple. Le paysage et le portrait ont cependant été le centre de sa production.
Stimulé par un environnement artistique et intellectuel bouillonnant (et inquiet), Sander va se lancer dans l’élaboration d’un travail ambitieux et généreux : la cartographie de la société allemande de son temps (la très fragile "république de Weimar" que détruira le parti nazi). Une espèce de tableau de Mendeleiev, dans lequel chacun trouverait sa place, du paysan au magistrat, du clochard au militaire, du handicapé à l’homme politique, du saltimbanque au groom. Partant d’images qu’il a produit en tant que photographe de commande, il va alors élargir sa collection en allant chercher ses sujets et les catégories sociales qui manquent à son projet.
Sa série de photographies de gens du cirque, particulièrement, montre une empathie et un respect pour une catégorie sociale hors norme, a priori très éloigné d’un ordre social "cohérent". Cette largesse d’esprit dans la reconstruction de la société par l’image sera assez mal perçue. Le travail, la conception du corps social comme homogène et productif est dominante dans l’aristocratie comme dans la bourgeoisie industrieuse, et les idées du parti nazi vont emboiter le pas d’une bonne partie de ces idées, en radicalisant l’idée d’un peuple ancestral dont les éléments minoritaires, "étrangers", "inadaptés", "improductifs" sont à éliminer. Dans ce cadre, les photographies d’aveugles, de chomeurs, sont considérées comme insurectionnelles, et Sander va subir des pressions directes alors qu’il travaille sur son répertoire "Hommes du XXeme siècle".
Stylistiquement, il produit des images documentaires, abordant ses sujets dans la frontalité, une rigueur distanciée, mais il injecte dans son travail toute sa connaissance du travail de studio : pose travaillée, éclairage et composition maitrisés. Il est associé à la nouvelle objectivité allemande, et en général à ce ras-le-bol post-pictorialiste, qui a vu nombre de photographes célébrer la photographie pour sa capacité à décrire le visible et produire de l’objectivité.
En 1929 son livre "Face du temps" (Antlitz der Zeit) paraît, une soixantaine de portraits en buste et en pied de ses contemporains, chacun présenté en son nom et en tant que représentant de sa fonction sociale. Les pauvres y cotoient les riches, on y trouve aussi des invalides, des artistes et des gens du cirque.
C’est en fait un extrait de son grand oeuvre, "Les hommes du XXeme siècle" (Menschen des 20. Jahrhunderts), constitué d’environ 600 professions, divisé en sept groupes. Il ne terminera jamais ce grand oeuvre, notamment parce qu’un livre aussi simple et généreux que "Face du temps" sera saisi par les nazis en 1936 et les exemplaires disponibles détruits.
La guerre l’oblige à battre en retraite, cacher ses négatifs, et se mettre à carreau. Après la guerre il photographiera la région de Cologne ravagée par les bombardements alliés.
Il coule des jours paisibles jusqu’à sa mort en 1964. Son grand projet "les hommes du XXeme siècle", ne sera jamais terminé, et s’il est reconnu pour son travail (en 1956 au Moma, il expose avec Manuel à lvarez Bravo, Walker Evans et Paul Strand, ce n’est pas rien), il ne se montre pas carriériste.
On peut se demander si un projet comme "les hommes du XXeme siècle" était encore tenable après la guerre, au travers des changements sociaux en cascade que l’industrialisation, la guerre froide, et la coupure est/ouest de l’Allemagne. Il reste que Sander a donné avec son oeuvre un ensemble consistant d’images, complexe dans son propos : la distance d’une étude sociologique, associée à la proximité du photographe de portrait, pour faire émerger le collectif à partir d’un corps singulier.
Se nichent dans ses milliers de clichés des photographies bouleversantes, inquiétantes, splendides esthétiquement, un registre très large d’émotions pour une rigueur technique jamais relâchée.