Diane arbus
Photographe américaine née en 1923, décédée en 1971. Elle commence la photographie vers 1957 après avoir été l’assistante de son mari, avec qui elle a ouvert un studio après la seconde guerre mondiale. Elle est une des figures majeures de la photographie de portait.
A partir du moment où Diane Arbus commence officiellement à photographier, sa biographie s’accélère : des premières photographies personnelles en 1957 (elle a alors 34 ans), on passe au divorce en 1959. 1962, elle abandonne le 24X36 pour le format 6X6, en 1963 elle obtient une bourse de la fondation Guggenheim, une deuxième en 1966, en 1967 son travail est exposé au Moma dans une exposition qui fit date : "New Documents". La dernière date, 1971, est celle où, laminée par la dépression, elle se suicide violemment.
Le travail d’Arbus a quelque chose à voir avec la révélation, a elle-même et pour les autres, de l’étrangeté. Ses sujets photographiés sont à la fois précis, — pris de face, dans une relation frontale au photographe et au spectateur — et impersonnels. Une majorité d’anonymes ne représentant qu’eux-mêmes, et quelques célébrités égarées. Si elle a frayé avec tout ce qui dévie de l’american way of life (nains et géant, nudistes, sado-maso, prostituées, ...) et que les dernières années en font plus significativement une photographe des freaks américains, son travail n’est jamais aussi puissant que lorsqu’il nous présente les visages à première vue les plus anodins de l’Amérique sixties : enfants, ménagères de plus de 50 ans, bourgeoises réservées, jeunes patriotes, couples de quinquagénaires, adolescents à l’age indéfinissable, dont elle révèle à quel point aucun n’est vraiment sûr d’incarner l’image que l’on attend de lui.
Son travail, à ce titre, est souvent mis en miroir de celui d’August Sander, qui fit le portrait des Allemands de l’entre-deux guerres, donnant dans son livre "hommes du XXeme siècle" une place pour chacun et à chacun une place, avocat ou clochard, avec la certitude que le contrat qui lie l’homme à la société est profitable à tous.
Ici, la société américaine est montrée comme une galerie de portraits disjoints, chacun tentant d’incarner un modèle qui lui échappe. Les corps cruellement écrasés par le flash trop puissant portent les traces de l’imposture de la normalité. Le New York des années 60’ est l’avant poste des énormes transformations qu’opère les sociétés occidentales sur chacun : isolement social, dérèglement des normes, chocs culturels permanents, quête de l’identité devenue individuelle.
Si l’oeuvre de Diane Arbus échappe dès lors à une lecture uniquement psychologisante (la bourgeoise juive névrosée qui projette son malheur sur toute personne rencontrée), c’est que son dispositif photographique laisse une place forte à l’autre, ouvre la béance de l’interprétation, et nous délègue le rôle de psychologue à deux dollars. Le format 6X6 permet à la fois une neutralité du cadrage (ni vertical, ni horizontal, carré, quoi) et une définition de l’image qui évite la poésie du grain. Le flash puissant écrase les visages et les matières, rompant avec une tradition humaniste du portrait, tout en respect et suavité. La photographie en rue, enfin, connecte ces personnages à la ville, au réel, et fournit une somme de détails et de situations que le studio aurait inévitablement gommé.
L’exposition "New Documents" (1967) donne un contexte à sa photographie : celle d’un héritage du document américain, avec comme père Walker Evans, et comme frères des figures comme Winogrand et Lee Friedlander.
Comme dans le "cinéma direct" qui émerge lui aussi au tournant des années 60’, on y trouve un attachement au réel comme matériau de travail, dégagé des contraintes et des attentes du reportage. Une approche "documentaire", une confrontation différente au spectateur, moins narrative, plus matte, moins balisée, plus effrayante.
Dans les dernières années de sa vie, l’intérêt pour les êtres hors-norme pousse Arbus de plus en plus vers les handicapés mentaux. Des visites régulières dans des centres, des centaines d’images produites, de visages hideux aux larges sourires édentés, des corps atypiques portés sans honte, sans fausse pudeur, sans vernis social. Les photographies qu’elle en ramène sont crépusculaires. Ciels plombés, vent glacé, visages haves, grands yeux sombres. On sait qu’elle estimait avoir trouvé là ce qu’elle cherchait depuis longtemps, mais personne ne sait quoi au juste, à vrai dire. Quelque chose qui répondait pied à pied à son voyeurisme ? Un endroit où la norme disparait définitivement ? Peut-être un lieu où s’arrête la vaine quête de l’identité, où le visage est enfin le reflet de l’âme.