Eric Tabuchi
Photographe français contemporain, avec un site web aussi fourni que sa biographie est inaccessible. Fusion entre les attitudes documentaires historiques (rigueur du cadrage, approche systématique) et l’ironie d’un Ed Rusha, il transforme par la photographie des artefacts anecdotiques de la culture industrielle en sculptures héroïques.
On trouve de manière visible dans le travail de Tabuchi la tension entre errance et organisation, entre hasard et recherche forcenée. Il est de ce point de vue une espèce de quintessence de la construction du regard photographique, le passage de la simple vision à la scrutation, de la déambulation à la recherche.
La série d’arrières de camions "alphabet truck" est assez explicite de cette approche : commencée probablement comme une boutade (j’ai fait quelques photos de camions avec des lettres, je pourrais faire tout l’alphabet), la collecte a du se transformer en quête, et nul doute que la recherche des dernières lettres n’a rien eu à envier à la fouille systématique des fans de comix. Le résultat serait juste drôle s’il ne s’accompagnait pas d’une rigueur du cadre qui en fait une vraie série documentaire : occupation du cadre, lumière, fond, sont soigneusement choisis.
Les séries de Tabuchi ressemblent plus à des collections, s’enrichissant de trouvailles glanées sur les routes. Son sujet se trouve clairement dans les friches d’un monde industriel et post-industriel en constante construction et destruction. En ça, il est dans la lignée d’une tradition photographique qui remonte à Walker Evans, et a connu de beaux jours dans les années 90’ avec des figures comme l’anglais John Davies et les premiers travaux de Lewis Baltz. Les lieux qu’il photographie ne sont pas rares et chacun d’entre nous à pu les croiser, mais le travail de photographe a amené Tabuchi à les arpenter, a en faire son univers, et a y trimballer de manière systématique son matériel de prise de vue grand format.
Le travail de la couleur, très soigné, apporte au travail la beauté formelle et crée un plus forte tension entre l’ironie des sujets et la force sculpturale de ses ready-mades.
Il y a là des bâtiments en cours de construction, encore sans fonction, assemblages hétéroclites de matériaux dans des lieux abandonnés de tous, des signes n’indiquant rien, des remorques devenues autonomes par abandon.
Les collections sont à la fois ouvertes et arbitraires. La référence que fait Tabuchi à Ed Rusha n’est pas fortuite : le "26 gasoline stations" de Rusha marque le début de l’esthétique de l’art conceptuel, cette façon étrange de donner un chiffre, de clôturer arbitrairement une série potentiellement infinie.
La réflexion sur le devenir des objets produits en masse par l’industrie, sur la création de non-lieux, de friches, font partie du registre de la photographie depuis quasiment son invention. La sculpture minimale américaine et la photographie documentaire allemande de la famille Becher ont fait entrer dans les galeries la beauté sculpturale des objets industriels et l’étrangeté des constructions complexes en activité ou à l’abandon.
La délicatesse des images couleurs de Tabuchi produit une mise à distance que la génération des années 70-80 pensait obtenir par le noir et blanc. Une critique de la société capitaliste et de ses aberrations n’est jamais loin, mais elle se pare d’humour plutôt qu’une attitude de froideur. Cela donne des images plus complexes, ambivalentes, d’une intrigante beauté.
Dans des travaux plus récents, Tabuchi aborde des médias comme google earth, et la relation entre représentation planétaire globalisée et lieu physique, représentation du monde par satellite et à hauteur d’homme.
Voir son travail en ligne ici.
Il fait aussi appel à l’internaute pour l’aider à mener à bien une seconde collection de culs de camions, donnant quelques consignes techniques.