Jacob Holdt
Né en 1947 au Danemark, Holdt est un photographe typiquement atypique : venu à la photographie par hasard, sans présupposés artistiques ou esthétiques. Il débarque au Canada en 1969, achète un appareil photo à 30 dollars pour donner corps aux lettres qu’il envoie à sa famille au pays, dans lesquelles il raconte la pauvreté et la violence de l’Amérique.
L’histoire veut qu’il quitte le pays, chassé par son père, avec la ferme intention de rejoindre Salvador Allende, au Chili, et soutenir son projet révolutionnaire. Passant bizarrement par le Canada pour ce faire, il va entamer une traversée des Etats unis. Il y reste finalement 5 ans, écrivant un incroyable road movie dans lequel Allende n’aura au final pas sa place.
Hippie fini, barbu naïf ouvert à toutes les expériences, il va aimer tout le monde, riches, pauvres, noirs, blancs, indiens, latinos, hommes, femmes, adolescentes nubiles. Il achète un appareil bas de gamme, et photographie avec le même candeur et la même platitude ce qu’il rencontre.
Sa bonne éducation, sa blancheur, son éducation religieuse et cette même candeur baba vont lui permettre une mobilité sociale inestimable pour son expérience personnelle et son travail de photographe, et traverser l’Amérique a avec un tel personnage tout son sens.
Ce qu’il rencontre est principalement la pauvreté, le quotidien sordide des couches les plus basses de l’Amérique de Nixon. Des noirs, beaucoup de noirs, nus, habillés, sales ou propres, prostitués et affamés. Et de la drogue, des armes, des balieues et des squats de centre-ville, des morts, toute la violence qui accompagne traditionnellement la vie quand elle est dure. Mélangé à tout ça, il y a de l’amour aussi, des baisers, de la tendresse, des coucheries, dont il garde la trace comme Nan Goldin quelque part ailleurs, le fait au moment même.
Holdt photographie sans prétention artistique, mais sans fausses maladresses non plus : quand il peut faire un petit effet, il ne s’en prive pas. Il photographie au départ "comme tout le monde", une photographie de proximité, sauf que pour lui tout le monde est proche. Son regard s’aiguise au cours de son parcours et certaines de ses images ont des qualités de composition, une attention au l’action et au moment du déclenchement, un sens de la lumière.
Il produira des milliers de photographies et rentre au pays en 1976. La seconde partie de sa vie commence alors, celle d’un fils de pasteur devenu prêcheur contre la pauvreté, démarre avec une projection de diapositives de ses images dans son village natal, à son retour des amériques. Un livre est édité à la va-vite, American pictures, dans lequel Holdt confesse qu’il n’a aucune relation privilégiée à la photographie. Il déplorera qu’on aie pris son livre pour un plaidoyer anti-américain, alors que son livre est pour lui un livre contre toutes les pauvretés.
Holdt est donc un électrons libre, mais son approche n’est pas unique : Larry Clark, ou après lui Nan Goldin, photographient leurs proches de manière crue. Eggleston utilise la photo couleur et une approche de la banalité, le photo-reportage social a atteint son apogée, et dénonce avec vigueur les ravages de la politique sur les pauvres. Holdt est donc connecté à son époque.
Holdt continue aujourd’hui sa croisade, et le site web American pictures permet de voir la quasi totalité de son travail, ainsi que des vidéos de ses interventions, des liens vers d’autres projets (sur le Klu Klux Klan par exemple), bref un travail ahurissant.