Nan Goldin
Photographe américaine née en 1953 à Washington. En marge d’une amérique middle class hétéro aux horaires fixes, elle produit depuis les années 80’ le portrait écorché sur son entourage direct, elle y inclus. Son désintérêt pour la domination technique de la photographie, doublé d’une approche émotionnelle de l’acte photographique, en ont fait une artiste contemporaine importante.
Nan Goldin pourrait éditer avec ses images plusieurs catalogues de images "que les photographes professionnels ne doivent pas faire" : brutalité du flash, luisance des peaux, balance des couleurs mal réglée, flous, bougés, images centrées... Sa photographie annonce la génération "numérique", celle des photos balancées sur Flickr sans filtre, faite à la main gauche sans regarder dans l’appareil. Son esthétique s’appuie sur une fusion totale entre l’acte photographique et la pulsion scopique, le désir de voir, et une bonne dose de désir tout court pour son sujet : ses amis, amants et proches.
Née dans un milieu bourgeois et réservé, elle bascule officiellement dans la marginalité à l’occasion du suicide de sa soeur, qui la marque profondément. Envoyée dans un établissement scolaire à la pédagogie non-directive (on est en pleine période hippie), elle y découvre des alter égos, l’amour libre, la photographie, tout en un.
Elle devient en fréquentant le bar "The other side", la photographe officielle de son groupe d’amis, gays, travestis, bi-sexuels. Elle tente de retranscrire sa fascination amoureuse pour ces êtres "en marge" qui l’entoure, en vase clos au début : les photographies sont tirées au drugstore du coin pour revenir immédiatement au bar, collectionnées comme des trophées par ses amis et sujets. Ce mode particulier de production et de distribution va lui permettre de développer une esthétique en rupture avec les canons photographiques, centrée sur son sujet, célébrant la beauté mais ne s’encombrant pas d’un filtre esthétique ou discursif de galerie. Surexposition, sous-exposition, flash bon marché, décadrage, le tout sur des tirages bas de gamme.
Sans fétichisme pour la forme "tirage sous cadre", elle va utiliser la diapositive comme moyen commode pour diffuser son travail dans le milieu de la nuit. Le carrousel automatique permet d’occuper l’espace de bar ou de lieux de fête et de renvoyer à elle-même l’image non magnifiée de son milieu dans les espaces qui le compose.
Le coeur de son oeuvre se dévoile rapidement à la faveur de cette production cadencée : la représentation des brutalités amoureuses que s’infligent les humains ; la violence de la passion, bien sûr, les ruptures, les coups, les moments de joie. Cette recherche de l’intensité que partage son milieu se marque aussi dans l’usage de drogues, montrées sans détour.
Le sida viendra compléter par la détresse, l’agonie, la mort, le deuil, la palette déjà riche des émotions qu’elle s’attache à transmettre par l’image.
La nudité et le sexe est montré sans fausse pudeur, mêlé de manière complexe au reste des pratiques amoureuses, jamais loin de la tristesse, de la douleur et de la violence.
Comme pour tous les photographes, on peut définir le parcours photographique de Nan Goldin en une série courte d’images emblématiques. Mais dans les salles d’exposition, elle préfère montrer les images en nombre, pour couper à la sacralisation de l’image unique. Elle utilise aussi des projections de diapositives, preuve que le support papier, au fond, l’intéresse moins que l’émotion qu’elle tente de retranscrire.
La fascination de Goldin pour ses proches, le jeu qu’elle instaure avec son sujet, subit une rupture lorsque les images s’affiche soudain en galerie. Si son travail tient le choc, c’est que cette fascination n’est jamais morbide. C’est ce qui rend l’ensemble de son oeuvre, dont la pudeur échappe aux codes traditionnels, totalement désarmante.
"Pour moi, la photographie est le contraire du détachement. C’est une façon de toucher l’autre : c’est une caresse."
Si Goldin privilégie la lecture "sentimentale" de son travail dans son propre discours, la précision sociologique du microcosme qu’elle photographie donne une valeur documentaire à son travail. A mesure que les années 80 et 90 devient de l’histoire, cette dimension gagne en puissance. Son travail ne se laissera probablement jamais réduire à cette seule dimension cependant. Son autoportrait, en gros plan, au flash, centré, le visage tuméfiée par les coups de son amant, restera une des représentations de la femme les plus anti-conventionnelles jamais réalisées, et vaudrait à lui seul l’entrée de cette photographe dans l’histoire de l’art.