Walker Evans
Photographe américain, né en 1903 et mort en 1975. Surtout connu pour ses photos pour la Farm Security Administration, il fut un expérimentateur particulièrement pointu de la notion de document et un photographe radical, quasi pré-conceptuel dans son approche de la photographie.
L’attention à l’aspect documentaire de la photographie fait de Walker Evans un vrai photographe moderne, avec un réel désir de se détacher du sujet, de lui laisser une existence propre, et de mettre tout en oeuvre pour que le sujet soit montré avec la force du détail et une certaine neutralité de la mise en place. Bien que l’on place régulièrement son travail du côté du reportage social, il est très loin de celui de Dorothea Lange, par exemple, qui lui est contemporaine et qui a travaillé elle aussi dans la mission de la FSA. Walker Evans est plus froid, plus distant, plus cérébral dans sa manière d’aborder ses sujets, même quand ils sont "sociaux".
La lumière rasante de côté est sa marque de fabrique : Evans aime cette lumière qui révèle le maximum de détail sur la surface des murs et de ses sujets, mais aussi et surtout, sur la pellicule photographique.
Ses portraits réalisés dans le métro par exemple, la nuit bien souvent, montrent nombre de personnages marqués par la vie et le travail à des heures indues, mais on ne peut dissocier ces images d’une réflexion d’Evans sur l’intentionnalité du sujet photographié dans le cadre de la photo de portrait. Avec son appareil dissimulé, et le bruit de l’obturation couvert par le bruit du métro, avec la fatigue et l’absence des personnes photographiées, on a là un dispositif fait pour évider le sujet photographié de toute présence, de tout rapport à leur image. Du coup, c’est toute la tradition du portrait qui est mise en cause.
Pourtant, cette distance, cette insatisfaction de photographe vont faire d’Evans un énorme producteur d’image, et vont influencer paradoxalement une génération de photographes plutôt axés sur la subjectivité, Robert Frank en tête.
L’obsession de Walker Evans fait partie de sa légende : ainsi, il recoupait ses négatifs aux ciseaux pour être sûr que le studio de développement fasse le bon cadrage de ses images. Ainsi, à la fin de sa vie, collectionnait-il des plaques émaillées, même identiques, accrochées sur les murs extérieurs de sa maison, dont il photographiait régulièrement la corrosion. Ainsi, a-t-il fini par photographier des choses de plus en plus petites, marquant l’entropie produite par la vie moderne : des portions de sol, des poubelles, des détritus assemblés par le hasard.
Les photographies de Evans sont cadrées au cordeau, riches de détails, d’une très grande mattité (je veux dire par là "peu discursive à priori"). Je ne saurais trop recommander d’en faire l’expérience dans un bon catalogue, et si possible avec un tirage original.